Je me pose beaucoup de questions quant à évoquer ma colère, mon chagrin ou la barbarie de ces événements ici.

A 21h50 vendredi 13 novembre, je survolais Paris et je me rappellerais toujours de ce qui m’a traversé l’esprit. « Paris tu es belle et je t’aime ».

Je n’ai pas perdu de proches, mais comme beaucoup, des connaissances, des amis d’amis sont morts ou blessés dans une salle de concert que je connais si bien. Dans un quartier qui me rappelle ma jeunesse et que j’affectionne particulièrement. « Paris est si petit » finalement.

Et même si la vie continue, pour beaucoup elle s’est arrêtée… Je n’ai pas le cœur à la légèreté et à poster.

Je vais, comme nous tous, affronter ma peine à mon allure et revenir ici ensuite mais partage avec vous le beau texte d’une vielle connaissance, Benjamin Duval, puissant, poignant et si juste.

Prenez soin de vous,

Laureen

LETTRE OUVERTE À MON FILS.

Gustave, mon tout tout tout p’ti bonhomme.

Tu es né le 17 Octobre 2015 à 10h47.
Si tu avais été une fille, ta mère aurait aimé t’appeler Charlie.
Mais elle s’y était résolue.
La faute à une bande de fanatiques dégénérés en guerre contre la liberté qui avaient fait couler trop de sang sur ce prénom aujourd’hui tristement célèbre.

Ce WE, tu n’as pas pu comprendre le sens des larmes dans les yeux de tes parents.
Alors tu nous as regardé attentivement et on pouvait lire l’étonnement dans tes yeux.
Tu es resté calme, étonnement calme.
Comme si tu comprenais ce qu’il se jouait en ces jours funestes.
Et puis on t’a serré dans nos bras, beaucoup trop souvent et beaucoup trop fort certainement.
Nous nous sommes enivrés de cette odeur de vie dans ton souffle.

Le temps d’un W.E, tu as été un phare allumé, seul repère dans la mer déchainée de notre effroi.
Nous étions battus par les flots et tu nous a permis de ne pas sombrer.
« Fluctuat nec mergitur » donc !
Mais si, tu sais, « la la la lala lala, c’était pas d’la litteratur’ … des copains d’abord »
Je te chante ça, quand j’ai les deux mains dans ta merde et que tu me pisses dessus.

Ce vendredi 13 beaucoup de copains sont morts mon amour.
Nous n’avions pas besoin de les connaitre pour qu’ils soient nos copains.
Ils étaient tous des amis parce qu’ils posaient leur coude sur le zinc des bars, qu’ils parlaient de plans cul ou d’amour, aimaient la musique, s’enivraient d’alcool ou de débats.

Ils sont morts, parce qu’ils avaient des copains qu’ils ont voulu retrouver.
Parce que tout ce qui vaut la peine d’être vécu doit être vécu avec les copains.
Les copains d’abord…

Gustave, mon coeur, aujourd’hui j’ai envie de te dire à quel point ta maman est belle.
Elle est souriante, attirante et sensuelle et ses yeux sourient au monde.
Mais ce qui la rend la plus belle c’est qu’elle est libre.
Libre de se construire, de penser, de s’affirmer, de hurler, de voter, de me quitter.
Elle est libre de me casser les couilles si elle en a envie.

Mon enfant, tu entendras souvent ton papa et ta maman se disputer.
Parce qu’ils en ont le droit. Parce que ta maman n’est pas obligée d’être d’accord avec ton papa.

Rien que pour ça les méchants de vendredi auraient adoré t’enlever ta maman et ton papa.
Toi même tu aurais pu être avec nous à la mauvaise terrasse, au mauvais moment.
Le fanatisme aurait pu briser ta vie si courte parce que papa et maman buvaient une bière avec des copains en racontant des conneries.

Aujourd’hui tes (très) jeunes parents essayent de respirer à nouveau.
Ton papa se demande quel est ce monde dans lequel tu vas grandir.

Ton papa est fatigué Gus, déjà fatigué.
Fatigué à 35 ans d’écouter ces culs-pincés de conservateurs déclinistes vomir leurs frustrations.
Fatigué qu’on nous gave avec ce concept foireux de fracture sociale, qu’on nous empêche de croire que l’amour et le vivre-ensemble ne soient pas les seules choses importantes dans ce monde.

Mais en te voyant, je reprends espoir.
Parce que grace à toi, ces funestes idéologues ne gagneront jamais.
Si ces barbares me mettent à genoux, ils ne t’empêcheront pas de te lever sur tes deux pattes dans quelques mois.

Mon Gus, aujourd’hui on parle de guerre.
Ces rigoristes ont déclenché une guerre contre les épicuriens et les humanistes.
Ils ont tiré sur le peuple libre des terrasses et des concerts.
Ainsi ils ont fait de tes parents des soldats et levés une armée de copains.
Ils ne pourront jamais vaincre notre modèle, nous sommes bien trop surentrainés à boire, rire, baiser, débattre, s’aider, chanter, jouir…

Et je vais faire de toi un soldat.
Je t’apprendrai à aimer les femmes (ou les hommes), à penser, à être tolérant, à être un républicain, un humaniste, à boire, beaucoup, beaucoup trop.
Je me lèverai chaque jour de ma vie, pour te faire aimer cette vie, faire de toi leur pervertis, un homme sensible et intelligent.
Je façonnerai tes armes avec le fer rouge de nos valeurs.
Je serai ta lumière, celle qui, de son rayonnement, effacera l’ombre de l’obscurantisme qui tentera de se lever derrière ton épaule.

Mon enfant, je vais faire de toi un écrivain.
Pas un romancier, mais un de ceux qui vont ré-écrire le roman français, redéfinir le vivre-ensemble et user leur stylo sur le mot amour.

Je t’apprendrai à embrasser ceux que tu aimes, à pardonner, à découvrir le plaisir d’un vin millésimé, l’importance de la solidarité et du partage.
Tu seras gentiment bête et modestement utile.

Demain on te fêtera ton anniversaire de tes 1 mois mon chéri.
Et avec ta maman, nous allumerons une bougie.
La lumière sera celle de ton avenir et du souvenir de tout ceux partis vendredi soir un verre à la main.

J’espère que tu vas bien te marrer, bien boire et bien bander.

Sois libre mon fils, combat les amalgames et accepte les différences.
Et puis soyons fous, sois bien-pensant.
Je sais qu’on te fera croire que d’être bien-pensant c’est démodé, et bien on les emmerde mon p’ti bonhomme.

Tu seras ma fierté, un combattant, un resistant.

Je t’aime.
Ton papa.